Ces deux stages de courte durée ont en commun d’avoir été organisés par Mademoiselle Yvonne Gide qui avait fait de la musique dans sa jeunesse, mais avait ensuite été accaparée par ses études à la Sorbonne et son travail de professeur d’anglais au lycée d’Argentan.

L’orgue de l’église Saint Germain ayant été reconstruit en 1975, elle en devint responsable et milita par ailleurs pour la rénovation de l’orgue historique de Notre Dame de Guibray à Falaise en créant en 1985 une Association des Amis de l’Orgue de cette église, en la présidant et en organisant des concerts. Elle a enregistré plusieurs disques à Falaise, à Argentan et à la bibliothèque de Vire. En 2002, la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres lui fut remise par son ami Gustav Leonhardt. En nous quittant le 16 Septembre 2011 à 87 ans, elle laisse un grand vide dans le monde de l’orgue.
Autre point commun entre ces deux stages, ils furent animés par Willem Poot.

Celui-ci a étudié l’orgue au Conservatoire Sweelinck d’Amsterdam avec Albert de Klerk. Il a également étudié la théorie musicale et enseigne au Conservatoire d’Utrecht. Il considère que comme un homme, chaque orgue a sa propre personnalité. Il est fasciné par ses timbres, cherche les points forts de l’instrument et choisit le répertoire qui lui convient.
Il donne des concerts d’orgue aux Pays Bas et à l’étranger, il a enregistré plusieurs émissions de radio et de télévision, ainsi que plusieurs disques. En Hollande du Nord, il organise maintenant des tournées d’orgue. A chaque voyage, il emmène les amateurs visiter les meilleurs instruments des Pays Bas. Pour chaque instrument, il parle de son histoire et de ses caractéristiques particulières et, naturellement, le fait entendre. Il contribue ainsi à la connaissance par un large public et à la conservation par les instances compétentes des grandes orgues de son pays.
L’orgue de Notre Dame de Guibray à Falaise a été construit à l’origine en 1746 par les facteurs Claude et Henri Parisot. Ayant conservé suffisamment d’éléments historiques : buffet, mécanismes et la plupart de ses jeux, il pouvait bénéficier d’une restauration se rapprochant le plus possible de son état d’origine. L’action d’Yvonne Gide, organiste, et l’intervention de Jean-Pierre Decavele, technicien-conseil, rendirent possible l’élaboration du projet. Grâce au financement de l’État, du Département du Calvados et de la Ville de Falaise, cette restauration fut menée à bien en 1993 par les facteurs Boisseau et Cattiaux. L’instrument convient évidemment magnifiquement à l’interprétation de la musique d’orgue baroque française, mais la qualité de ses jeux permet d’aborder les répertoires d’autres contrées.

STAGE de 1988 à FALAISE
Ce stage avait pour thème « Rhétorique et interprétation de la musique d’Europe du Nord de Sweelinck à J. S. Bach ». Pour Willem Poot, il y a une grande relation entre la musique et la langue.
Chaque pays a sa propre langue et sa propre accentuation.
En Europe, les pays où la musique est importante ont des langues différentes :
- En France, l’accent se traduit par l’élongation de la syllabe et le rythme inégal,
- En Allemagne, l’accent est plus dynamique,
- En Italie, l’accent se marque par des traits montants ou volubiles.
- Les bonnes notes se font toutes les 2, 3 ou 4 notes.
Dans la parole, l’articulation est également très importante. Toutes les possibilités existent du legato au staccato. Il est important de choisir quelle note sera jouée comment. Sur les orgues mécaniques, on peut varier le toucher suivant l’enfoncement de la touche. Suivant les pièces, on peut attaquer très fort ou très doux. En réalité les choses sont plus complexes; on peut varier ou alterner les touchers, avec ou sans attaque. De la même façon, on peut terminer la note rapidement ou doucement.
Il y a aussi la question des notes répétées. On peut s’exercer : une note forte, une douce; ou une note forte, deux douces; ou avec des accords. Dans le legato, le vent ne s’arrête jamais. Dans le portato, on entend les attaques.
Le mélange des jeux revêt évidemment la plus grande importance.
Suivant les jeux qu’on utilise, on change le caractère de la pièce. Quelques éléments à ce sujet :
- En Allemagne, l’orgue accompagne toujours la foule qui chante.
- En Hollande, les chants ne sont accompagnés qu’à partir de la moitié du 17ème siècle. L’orgue joue avant et après le service ou pour les concerts.
- Praetorius mélange la régale et la cymbale pour imiter le clavecin.
- On fait souvent alterner le grand et le petit plein jeu. Dans les fantaisies en écho, on fait l’écho sur l’oberwerk.
- La fantaisie chromatique de Sweelinck se joue d’un bout à l’autre sur la montre.
- Quand la structure de la pièce le permet, on procède à des changements de clavier.
- Il faut toujours analyser la musique et penser aux proportions.
- Les solos se touchent sur les jeux ou mélanges suivants : trompette / 4′ du positif / bd 8′ et doublette / bd 8′ et flûte 4′ / sesquialtera / régale (avec tremblant) / régale et 4′ (+quintaton pour imiter la voix humaine) / 8′, 4′ et larigot.
- Au pédalier, en Hollande on renforce la basse ou on met la trompette; en Allemagne du Nord, on met les anches de 16′ et les fonds.

Willem Poot confirme l’importance de la Rhétorique, aussi bien à l’époque baroque qu’après, par exemple jusqu’à Mozart. Aux 15ème et 16ème siècles, la méthode de composition reposait sur le contrepoint, dans un style difficile et sophistiqué. A la fin du 16ème, le nouveau style arrive, plus dramatique, plus expressif. Les moyens d’expression sont nouveaux. Dans le contrepoint, les diminutions construisaient des figures. A l’époque baroque, on travaille avec des figures (Monteverdi, et Bach avec ses figures incroyables …).
Il y a des figures dans les mélodies. Celles-ci montent ou descendent. Les tessitures extrêmes correspondent aux expressions extrêmes. Le chromatisme symbolise la mort. La sixte montante exprime une grande difficulté. Les soupirs entre groupes de deux notes liées expriment la douleur.
Il y a des figures dans les harmonies. Les dissonances illustrent musicalement les moments difficiles. Les harmonies inattendues attirent l’attention ou symbolisent une grande tension.
Il y a des figures dans les rythmes. Ceux-ci varient du vite au lent, du long au court, du grand au petit.
L’affect général d’une pièce traduit de la tristesse (rythme lent, mode mineur) à la joie (rythme rapide, mode majeur). D’une façon générale, comme le disait Carl Philipp Emmanuel Bach, pour émouvoir les autres, il faut être ému soi-même.
Pour aider les amateurs qui voudraient s’intéresser de plus près à la rhétorique et à l’expressivité musicales, voici quelques sites intéressants :
http://musicophilie.blog.free.fr/index.php?post/2009/03/13/Constantes-expressives-chez-Bach (aide à la recherche)
http://christophe.chazot.pagesperso-orange.fr/rhetorique.html (résumé sur la rhétorique musicale)
http://www.peiresc.org/Clerc.pdf (somme sur la rhétorique musicale)
http://musique.baroque.free.fr/constantes.html (constantes expressives)
http://www.canalacademie.com/ida2742-Symbolique-et-rhetorique-chez-Jean-Sebastien-Bach.html (Cantagrel)
http://www.erudit.org/revue/pr/2010/v38/n1/039702ar.pdf (sémiotique et rhétorique dans la fantaisie en ré min de Mozart)
Le STAGE de 2005 à ARGENTAN
Ce stage avait pour thème Jean Sébastien Bach et ses précurseurs (Sweelinck, Scheidt, Tunder, Buxtehude … Il fut malheureusement écourté du fait, si je me souviens bien, d’une occupation imprévue de l’église.

Pour comprendre Jean Sébastien Bach, il faut étudier tous ses précurseurs. Né en Allemagne du Nord, il a connu les œuvres de Buxtehude qui avait des liens avec tous les pays du Nord, eux-mêmes très influencés par Sweelinck. Les Flandres avaient des contacts avec l’Italie. Les conciles de Trente 1545/1563 y avaient réformé le chant grégorien. Mais Palestrina composait des messes polyphoniques sans chromatismes, ni multilangues, ni instruments. Dans le même temps les Gabrieli continuaient leurs morceaux à deux orgues. Monteverdi apportera son nouveau style. Puis le concerto se développera. Les nombreux musiciens italiens visiteront l’Europe à l’exception de la France. Jean Sébastien Bach sera également très influencé par la musique italienne.
Résumé simplifié de la Rhétorique : position, opposition, lutte et confirmation. Il est important d’étudier aussi la musique vocale, l’opéra, les autres événements culturels. La Rhétorique n’est pas non plus que discours. Il y a aussi les agréments dérivés de la musique vocale. C’est une façon de distinguer ce qui est normal et ce qui est spécial.
Interrogé sur les constantes expressives mises en exergue par Pirro, Schweitzer et Marie-Claire Alain, Willem Poot ne fait pas, dans sa logique, de lien avec les figures de la Rhétorique.
Il consacre une partie du temps à l’étude rapide de diverses pièces préparées par les stagiaires.

Est-ce Mars de Sweelinck : bien séparer les notes, faire des nuances dans les séparations, jouer les notes plus fort ou plus doucement. Jouer les notes brèves de 2 en 2, ou lier la 1ère à la 2ème. (Pour Bach, ce sera de 4 en 4).
Magnificat du 1er ton de Buxtehude : C’est le stylus phantasticus, ne pas ajouter d’ornements. Certaines sections ne respectent pas la mesure. Dans les répétitions, presser pour renforcer l’harmonie. Section B : montre, flûte et larigot. Section E : très doux.
Magnificat de Weckmann : pas de tremblant dans les notes rapides, mettre en valeur les dissonances. Faire sentir le caractère tout à fait exceptionnel du dernier accord.
Jean Claude Duval – 12 Avril 2013 et 2 Septembre 2020
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