Saint Bertrand de Comminges, petite commune d’aujourd’hui quelques 250 habitants, fait officiellement partie des « plus beaux villages de France ». En bordure de la Garonne et au milieu des Pyrénées, cette cité commande l’un des accès à l’Espagne.

Vers 72 avant J-C, la cité devient romaine sous le nom de Lugdunum convenarum. Hérode Antipas s’y serait réfugié. A partir du règne d’Auguste, elle se développe jusqu’à atteindre 10000 habitants autour de son champ de foire dans la plaine. Au IVe siècle, elle est rattachée à l’Aquitaine et perd peu à peu de son importance. Au VE siècle, on construit le rempart de la ville haute, mais la ville basse continue à exister et à s’embellir. Au Moyen Âge, Saint-Bertrand-de-Comminges devient une étape du chemin du Piedmont pour le pèlerinage de St Jacques de Compostelle. Le haut Moyen Âge est marqué par la destruction de la ville basse et le repli des habitants vers la ville haute.

En 1295, le pape Boniface VIII nomme Bertrand de Got, évêque de Comminges. Celui-ci devient en 1299 archevêque de Bordeaux, puis en 1305 premier pape à Avignon, sous le nom de Clément V. En 1304, il lance la construction d’une nouvelle église gothique et en 1309 il y transporte lui-même les reliques de saint Bertrand. Il favorise le culte du saint, faisant de son tombeau le centre d’un grand pèlerinage. L’église gothique est achevée en 1350. En 1456, le comté de Comminges est rattaché à la France, mais il conserve sa notoriété spirituelle. En 1535 la cathédrale s’enrichit d’un chœur renaissance et d’un buffet d’orgue.

Actuellement, la commune vit essentiellement du tourisme, surtout sur la ville haute autour de la cathédrale, la ville basse vivant surtout de l’agriculture. Chaque année près de 80 000 touristes visitent les sites de Lugdunum et de Saint-Bertrand-de-Comminges. Les orgues de la Cathédrale contribuent grandement à l’animation de la cité. Des Académies y sont organisées, comme en 1987. Dans la Cathédrale, des séries de concerts de qualité attirent les mélomanes.

La photo ci-dessus représente l’orgue de Saint Bertrand de Comminges dans sa configuration exacte. Précision que je pense utile. J’ai par ailleurs en effet un grand poster où l’orgue est inversé (et un tapis de souris d’ordinateur, venant de l’étranger il est vrai, titrant « St Bertrand de Cominges (avec un seul « m »). Je me souviens très bien de Michel Chapuis nous haranguant de la chaire à toit ouvert située complètement à droite de la photo, en haut de l’escalier.

XVIIè s. – Swiderski, 1981 – composition

Grand-OrgueEchoPositif intérieurPédale
Montre 16′Bourdon 8′Montre 8′Bourdon 32′
Montre 8′Flûte à cheminée 4′Bourdon 8′Flûte 16′
Bourdon 8′Doublette 2′Prestant 4′Flûte 8′
Prestant 4′Nazard 2 2/3′Flûte à cheminée 4′Flûte 4′
Tierce 3 1/5′Tierce 1 3/5Nazard 2 2/3′Bombarde 16′
Nazard 2 2/3′Sifflet 1′Doublette 2′Trompette 8′
Doublette 2′Régale 16′Tierce 1 3/5′Clairon 4′
Fourniture VLarigot 1 1/3′
Cymbale IVFourniture IV
Cornet VCymbale III
Trompette 8′Trompette 8′
Clairon 4′Hautbois 8′
Voix humaine 8′Cromorne 8′

Autres caractéristiques :

40 jeux – 3 claviers manuels de 54 notes et pédalier 30 notes Accouplement Pos/GO-Echo/GO

Expression Echo Tremblant GO – Pos – Echo console en fenêtre – mécanique suspendue

Ayant découvert l’orgue de la Collégiale de Dole en 1938, Michel Chapuis travaille avec Jeanne Marguillard à Besançon puis à l’école César Franck de Paris.

En 1951, il obtient un Premier prix d’interprétation et d’improvisation au Conservatoire de Paris, dans la classe de Marcel Dupré. A partir de 1954, il est organiste dans différentes églises parisiennes notamment Saint Nicolas des Champs, l’orgue de chœur de ND et Saint Séverin par quartiers. A partir de 1956, il est Professeur aux Conservatoires de Strasbourg, puis de Besançon, avant de devenir de 1986 à 1996 Professeur au Conservatoire National Supérieur de Paris. Il finira sa carrière comme organiste titulaire de la chapelle du Château de Versailles de 1995 à 2010, avant de devenir organiste honoraire du même instrument.

Il fut l’un des principaux artisans du renouveau de la musique baroque en France, avec Robert Boisseau, Jean Fellot et Pierre Hardouin pour la facture d’orgue et avec Francis Chapelet, René Saorgin, Marie Claire Alain, Jean Boyer et plusieurs autres, pour l’interprétation de la musique française des 17ème et 18ème siècles : ornementations, notes inégales, registrations, etc … Sa discographie est très abondante. Voir le site de :

http://www.france-orgue.fr/disque/

Musicologue expérimenté, Jean Saint-Arroman a travaillé longuement (par exemple avec Michel Chapuis et Jean Boyer) pour retrouver les règles d’interprétation de la musique pour orgue française des 17ème et 18ème siècles. Il enseigne au CNSMP de Paris et au CEFEDEM d’Ile de France.

Il publie en 1985 et 1988, 2 dictionnaires d’interprétation pour la période de 1661 à 1789. Ces dictionnaires figurent toujours au catalogue de la librairie Honoré Champion, mais avec la mention RSD, c’est-à-dire Réimpression Sans Date. Par contre en tapant sur Google leurs titres exacts « L’interprétation de la musique française 1661 – 1789 », on tombe sur une multitude de sites qui les évoquent. En 2005, il publiera chez Fuzeau 5 volumes de fac-similés des méthodes, ouvrages, préfaces, encyclopédies et cérémonials de 1600 à 1800. On y trouve par exemple l’Art du Facteur d’Orgue de Dom Bédos. Vous trouvez la description de ces cinq volumes ici :

http://www.editions-classique.com/fr/search.php?search=m%E9thodes+et+trait%E9s+orgue&x=9&y=10

Comment résumer les 17 pages bien correctement calligraphiées par une collègue des cours de Jean Saint-Arroman et les 10 pages de notes en pattes de mouche griffonnées par votre serviteur des leçons de Michel Chapuis ?

Jean saint-aroman

1er cours de la messe

Du début du règne de Louis XIV à la Révolution, les pratiques évoluent suivant les églises et les monastères. La disposition des fidèles dans l’église dépend de leur niveau social. On ne regarde pas à la durée des offices. On a le goût du décor et du théâtre. L’orgue fait partie de ce monde différent du nôtre. Il est sous l’autorité du clergé. Il ne sert que pour les offices, avec un rôle différent suivant la nature de la fête. Il n’y a pas de concerts d’orgue. Les organistes sont aussi clavecinistes et maîtres de chapelle.

La Messe est le plus important et le plus solennel des offices. Les parties invariables constituent l’ordinaire, les autres le propre.

  • Procession : on fait la bénédiction de l’eau, on bénit l’autel, le prêtre, les fidèles, les bâtiments, les chapelles et on revient à l’autel. On peut chanter le Miserere ou l’Asperges me. Averti par une clochette, l’orgue peut boucher les trous.
  • Prières au bas de l’autel : on chante l’Introït, l’orgue n’intervient pas.
  • Kyrie : se chante en plain-chant ou en musique et peut être alterné avec l’orgue; à l’origine, on séparait les mots « Kyrie » et « Eleïson » par une longue vocalise qu’on appelait « trope » comme « fons bonitatis » ou « cunctipotens genitor Deus ».
  • Gloria : chanté après le Kyrie (sauf pendant l’Avent et le Carême), peut être en plain-chant, en musique ou alterné avec l’orgue.
  • Épître : psalmodié dans le missel.
  • Graduel : généralement chanté, mais peut être remplacé par l’orgue.
  • Prose : chantée aux grandes fêtes, le plus souvent en mesure ternaire, parfois en mesure binaire ou en notes égales (Dies irae); éventuellement alternée avec l’orgue.
  • Évangile : psalmodiée dans le missel.
  • Credo : toujours chanté en plain-chant, sans aucune participation de l’orgue.
  • Offertoire : parfois chanté en plain-chant, mais souvent remplacé par une longue pièce d’orgue.
  • Sanctus : toujours alterné avec l’orgue.
  • Élévation : chantée (« O salutaris hostia ») ou jouée à l’orgue.
  • Benedictus : chanté immédiatement après le Sanctus ou après l’élévation.
  • Agnus Dei : toujours alterné avec l’orgue;
  • Communion : chantée en plain-chant ou remplacée par un motet ou une pièce d’orgue.
  • Ite missa est : chanté par l’officiant, avec réponse chantée ou jouée brièvement à l’orgue.
  • Domine salvum fac regem : chanté en plain-chant ou sous forme de motet.
  • Sortie : le prêtre dit le dernier évangile à voix basse ou en allant à la sacristie; l’orgue peut jouer.

Voici, à titre d’exemple, le programme de la messe qui fut donnée le 2 Août 1987 à la Cathédrale de St Bertrand de Comminges avec Michel Chapuis à l’orgue, bien entendu.

2èmes cours : Les Vêpres et les complies

Les Vêpres constituent l’office de l’après-midi : les « premières » vêpres la veille de la fête et les « secondes » vêpres le jour de la fête.

Le plan général de la célébration est toujours le même :

  • Prière initiale (Deus in adjutorium)
  • 5 psaumes accompagnés de leur antienne jouée par l’orgue, Geoffroy écrit une alternance des versets du psaume « Memento Domine David » avec l’orgue
  • Capitule : courte prière chantée par l’officiant
  • Hymne : généralement alternée entre le chant et l’orgue, Beaucoup de compositeurs ont écrit des versets pour orgue, principalement pour le Veni Creator, le Pange lingua et l’Ave Maris stella, L’orgue joue directement le premier verset sur le plein jeu, sa participation à l’alternance peut être parfois irrégulière,
  • Magnificat : chanté avec son antienne, parfois sous forme de motet ou en faux-bourdon, mais le plus souvent alterné avec l’orgue, Comme pour l’hymne, l’orgue commence et l’alternance peut être irrégulière

Registrations les plus habituelles

VersetRegistration
Magnificat Plein jeu avec pédale de trompette
Quia respexit Très souvent un duo
Deposuit potentesSouvent basse de trompette ou de cromorne
Gloria Patri Grand jeu, souvent en Dialogue
AmenPetit plein jeu, parfois grand plein jeu

Les Suites d’orgue peuvent souvent être utilisées pour le Magnificat, On sait par un livre de l’époque que les « suites » de Nivers étaient conçues pour le Magnificat, Lorsqu’il y a plus de versets que nécessaire, on choisit selon son goût,

  • Oraison : prière du jour,
  • Benedicamus Domino : suivi d’un motet ou du Deo gratias joué par l’orgue.

Les Complies constituent l’office placé en fin de journée, c’est la dernière des heures canoniales.

Elles comportent une leçon brève, des psaumes, une hymne, le cantique « Nunc dimittis » et une antienne à la Vierge. L’orgue peut intervenir, notamment aux fêtes solennelles, pour l’hymne, le « Nunc dimitis » ou l’antienne de la Vierge. Babou a écrit un Salve Regina contenant des versets d’orgue et l’accompagnement des versets chantés.

3ème cours : Le Plain-Chant aux 17ème et 18ème siècles

Le plain-chant s’écrit sur 4 lignes numérotées de haut en bas. Il y a 5 clés : ut 1ère ligne, ut 2ème ligne, ut 3ème ligne, fa 1ère ligne et fa 2ème ligne.

Le nombre des valeurs de notes est limité :

  • les carrées ou simples valent 2 brèves,
  • les brèves valent la moitié d’une carrée ou simple,
  • les notes à queues sont des longues et valent 1 carrée ½ ou 2 carrées.

Les valeurs des notes peuvent être lues comme indiqué ci-dessus ou en notes égales. A l’époque, le système de notation est assez libre. Le plain-chant peut aussi être écrit en notation moderne, notamment lorsqu’il doit être accompagné d’une basse chiffrée. Le plain-chant ordinaire peut être orné de tremblements; dans le plain-chant musical, les agréments sont comme dans la musique profane.

Les barres verticales marquent des séparations ou respirations proportionnelles à leur hauteur. Les doubles barres marquent généralement une fin de verset ou de pièce, ou servent à isoler une partie du texte.

Le plain-chant comporte 8 tons que Hardouin résume ainsi dans la méthode qu’il publie à Reims en 1760.

Chaque ton à son caractère

Comme le dit Oudoux dans la méthode qu’il publie à Paris en 1776, des transpositions peuvent être nécessaires (voir ci-dessous).

Il n’y avait pas de diapason pour le plain chant. Et l’accord des orgues différait quelque peu suivant les églises.

Les faux-bourdons peuvent être écrits à 2, 3 ou 4 voix. Ils sont utilisés pour les psaumes, les hymnes et quelques Magnificat. La complexité de leur réalisation est très variable.

4ème cours: l’évolution de la registration de 1650 à la Révolution

On trouve partout maintenant les tables de registration de la musique d’orgue baroque française, y compris dans les ouvrages cités plus haut de Jean Saint-Arroman lui-même. Je me dispenserai donc de recopier les 5 pages de notes prises à ce sujet et de renvoyer :

  • A ses 5 volumes des fac-similés de 1600 à 1800 utiles pour rechercher par auteur une table de registration bien déterminée,
  • Et surtout à ses 2 dictionnaires où l’on retrouve de façon méthodique l’évolution de la registration par forme musicale.

Petit reproche à l’éditeur de ces dictionnaires. Un rappel en haut de page de la rubrique traitée serait bien pratique. Ci-dessous, une mini table des matières des articles par forme musicale par forme musicale, sans mention des pages de simple renvoi.

Le volume 2 est plus complet en ce qui concerne l’orgue. Le volume 1 constitue plutôt une initiation générale.
5ème cours : les ornements

Il existe plusieurs sortes d’ornements qui sont tous signalés dans des traités anciens; on distingue les classiques et les pré-classiques.

Les tremblements :

  • Le tremblement simple ne comporte pas d’effet spécial,
  • Le tremblement lié, généralement indiqué par l’auteur, comporte une liaison et se commence après le temps,
  • Le tremblement évité prend appui sur presque tout le temps suivi d’un petit tremblement, il n’est pas signalé par l’auteur mais toujours indiqué par les traités pour les césures,
  • Le tremblement progressif est usité soit dans les cadences finales, soit dans les grandes suspensions,
  • Le tremblement avec cadence se ferme par une ou deux petites notes,
  • Le tremblement appuyé est précédé d’un appui et commence après lui,
  • Le tremblement pincé rend la note très brillante, on l’emploie après le port de voix ou pour accentuer une note.

La cadence se fait sans tremblement.

L’accent supérieur ou inférieur est souvent écrit en note réelle avant la cadence pour lui conserver son caractère très bref.

La chute est une petite note qui anticipe sur la seconde note de l’intervalle, on la lisse tomber sans l’accentuer.

Le coulé est une petite note qui se place sur le degré supérieur et se fait toujours avec légèreté. A l’époque classique, le coulé supérieur se fait sur le temps suivant la longueur de la note principale. A l’époque préclassique, c’est un coulé de tierce avant le temps. Quand il est écrit, il conserve toute sa souplesse.

Le port de voix ou coulé double s’effectue soit sur le temps, soit avant le temps, suivant la période. Il s’exécute toujours suivant le caractère de la pièce, plus ou moins rapidement.

6èmes cours : Le diapason et le tempérament

Il existait plusieurs diapasons :

  • Le ton de chapelle : dans les grandes églises et Cathédrales, d’après le diapason de la Chapelle du Roy à Versailles,
  • Le ton de couvent : pour les religieuses, ½ ton plus haut que le ton de chapelle,
  • Le ton de chambre : 1 ton plus haut que le ton de chapelle,
  • Le ton d’opéra : 1 ton au-dessous du ton de chapelle.

Le ton de chapelle a évolué avec le temps. Vers 1650, il était environ 1 ton en dessous du diapason actuel. Vers 1675, il remonte d’½ ton.
Louvois prend une ordonnance à ce sujet en 1683. Au milieu du 18ème siècle, on le redescend d’½ à 1 ton.

Le diapason des orgues a une grande importance sur l’expression des œuvres jouées et pour l’accompagnement des voix.

Le tempérament est au moins aussi primordial. On pose généralement la problématique en termes de tempérament égal ou inégal. Un son est composé de sa note principale et de ses harmoniques dont les intervalles sont naturellement justes. Mais si l’on suppose 12 quintes justes à partir d’un fa, on aboutit à un mi# plus haut que la fa initial. C’est le tempérament inégal.

Il faut donc moduler la hauteur de certains intervalles si l’on veut que le fa final soit à l’octave juste du fa initial. C’est ce que Bach a fait dans son clavier bien tempéré où tous les intervalles entre les ½ tons sont à peu près égaux. En France, on conservera plus longtemps le tempérament inégal, ce qui interdira pratiquement l’emploi de certaines tonalités.

  • Tonalités très bonnes : do M, ré M, ré m, fa M, sol M, sol m, la M, la m, si b M,
  • Tonalités acceptables : ut m en évitant le 4ème degré, et le 6ème sur la b, ainsi que mi m et si m en évitant le 5ème degré en accord parfait,
  • Tonalités très délicates : mi b M et mi M,
  • Tonalités impossibles : la b M, fa m et si M.

Les pièces baroques françaises jouées sur un orgue ancien ou à l’ancienne sonnent très différemment que sur les orgues modernes. Elles prennent leur véritable relief. Mais les œuvres chromatiques ayant des ½ tons à valeurs irrégulières nous paraissent sonner faux.

Les auteurs de l’époque sont invités à masquer les accords sonnant mal. Certains interprètes comme Michel Chapuis le pratiquent régulièrement dans ses concerts.

L’important est de faire quelque chose de beau. Tout le reste passe après. Si l’on n’a pas dans un orgue les jeux nécessaires pour jouer telle pièce, il vaut mieux changer de répertoire. Si l’on n’a pas un orgue assez puissant pour jouer Balbastre, il faut soit meubler les accords, soit jouer autre chose.

Michel Chapuis

Si je me trompe, qu’il me le pardonne. Mais je ne me souviens pas que l’enseignement de Michel Chapuis fût dispensé sous forme de cours strictement pré-organisés. Je pense qu’il s’adapta pour une bonne part à la demande des stagiaires.

La tierce en taille est un récit qui s’interprète librement. En général très lyrique, il utilise deux modes d’expression : la douceur et la vivacité.
Le cromorne en taille, lui, est en principe toujours en douceur, mais les deux genres se confondent parfois et on trouve rarement le titre : « cromorne ou tierce en taille ».

La tierce en taille s’accompagne généralement sur le fonds d’orgue complet. Actuellement, les fonds sont souvent trop forts. La facture d’orgue a évolué. Entre Couperin et Dom Bédos, un siècle s’est écoulé. Elle disparaît des Livres vers 1730-1740 quand le nombre de jeux se renforce. Utiliser aujourd’hui un 16 pieds à la pédale n’est donc pas un contresens. Mais attention à l’harmonie si on ne met qu’un 8 pieds en pédale.

On module les tremblements suivant le caractère de la pièce : tremblement mou = 2 battements lents; port de voix = petite note venant du bas; coulé = petite note venant du haut. Les tremblements marquent les 3ème et 7ème degrés ou les notes altérées. Ils sont liés dans les traits volubiles ou au contraire dans les mouvements lents. L’attaque par la note supérieure donne du brillant. Pour jouer une tierce en taille, faire une introduction très dépouillée et réserver l’effet pour l’entrée de la tierce.

Dans les grands récitatifs en doubles croches, repérer les points expressifs et ne pas rechercher des effets symétriques. Les liaisons indiquent un louré : les notes sont égales par deux. On utilise le rythme lombard quand c’est la 2ème note qui est dans l’harmonie.

Le dialogue du Domine Deus du Gloria de la messe des paroisses de Couperin est la seule pièce baroque qui demande un mélange creux (bourdon et larigot) pour l’accompagnement de la basse de trompette. A l’époque, le larigot était beaucoup plus flûté qu’aujourd’hui. Dans ce genre de pièce, l’agrémentation doit être fondée sur l’expression de la phrase. Mais dans ce verset de Couperin, il n’y a pas lieu de surajouter des agréments à ceux de l’auteur.

Avant le concile de Trente, il y avait trois grandes écoles de chant grégorien : St Martin de Tours (rite germain),
Aquitaine (rite mozarabe) et Ambroisien (rite lyonnais). Les liturgies dépendaient des évêques et des conciles locaux.
Le concile de Trente (1614) unifia le chant de l’église (rite romain).

Ces prescriptions étaient en principe obligatoires, mais on admettait des exceptions. Certaines séquences de différents rites ont été incorporées au rite romain, par exemple le Vexilla Regis. De toute façon, les frontières n’étaient pas étanches entre les différentes écoles. A St Denis, on chantait des messes grecques. A Salamanque, il y a peu, on usait du rite romain dans l’église et du rite mozarabe dans une chapelle.

Le plain-chant a constitué une simplification quasi syllabique du chant du Moyen âge.

Les Hymnes étaient souvent composées suivant les règles de la prosodie antique. Les principales sortes de versification utilisées étaient les suivantes :

Diamètre iambique : Creator alme siderum;

Trimères iambiques : Decora lux;

Trimères trochaïques : Pange lingua;

Strophes saphiques : Iste confessor;

Asclépiade : Sanctorum meritis.

La simplification du chant a fait que l’on a abandonné ces rythmes et on s’est mis à chanter tout en notes égales.

Chez Grigny par exemple, les thèmes des hymnes sont en notes égales. Voir ci dessous une version dans le rythme utilisé par Grigny.

Elle a été trouvée par Michel Chapuis dans un antiphonaire de Grenoble. Le plain-chant musical, quant à lui, a été institué par les oratoriens en 1634. Le tempo du chant était fonction de la fête, plus lent pour les fêtes solennelles.

Pour les jansénistes, le chant ecclésiastique devait toujours être très lent et comporter de nombreuses césures. Le 19ème siècle est marqué par l’apparition à Paris des premiers orgues de chœur qui remplacent les serpents, ophicléides et contrebasses. Le plain-chant est tout à fait différent de celui des siècles précédents. Dans le système Niedermeyer, il y a un accord par neume. Avant l’édition vaticane du début du 20ème siècle, on pouvait utiliser les anciens livres. Ce fut ensuite le renouveau du grégorien avec Dom Guéranger, Dom Pottier … mais Solesmes a un peu tout mis dans le même sac en confondant toutes les époques. Voici par exemple 2 versions du Kyrie du 6ème ton de Dumont. L’originale et celle de Solesmes.

A la fin du 18ème siècle, la musique a tellement altéré les modes qu’ils se sont quasiment trouvés réduits à deux : les 1er et 2ème modes sont devenus « mineurs »; les 5ème, 6ème, 7ème et 8ème modes sont devenus « majeurs » par emploi de la sensible; les 3ème et 4ème modes sont tombés en désuétude, ils ne différaient des 1er et 2ème que par la finale.

Michel Chapuis fit aussi quelques incursions hors du baroque français proprement dit.

Par exemple la Fantasia Chromatica de Sweelinck.

Au 16ème siècle, il y avait une assez grande unité des styles en Europe. Ce n’est qu’ensuite que les différentes écoles se sont caractérisées. Par exemple, John Bull s’est attribué le Fantasia Chromatica de Sweelinck. Comme celle-ci, la Fantaisie de Racquet est également en trois parties. Les premiers instruments parisiens étaient venus des Flandres. Comme chez Titelouze et Cabezon, il a pu y avoir des erreurs dans la transcription des altérations. Les cadences modales sont des erreurs.

La sensible s’est imposée dès le 13ème siècle. Dans son Traité du 15ème siècle, Tinctoris indique que la note finale est toujours située au semi-ton de la pénultième. Plus près de nous, les exemples donnés par De La Feillée sur les altérations non indiquées sont très intéressants. Ainsi, en Fa, il faut systématiquement ajouter, dans la suite de notes Fa Sol La Si, un bémol au Si même s’il n’est pas précisé. La Fantaisie de Sweelinck se présente en trois parties où les diminutions deviennent de plus en plus nombreuses. Pour l’interprétation des diminutions, il faut toujours rechercher leur raison d’être. Dans la première partie, on peut utiliser une synthèse flûtée et assurer ensuite une progression. Les types d’harmonisation sont différents suivant les orgues. En Italie, les tuyaux sont très riches en harmoniques. En France, les bouches sont assez basses et larges. En Allemagne, plutôt hautes et étroites.

Aussi le Te Deum de Buxtehude.

C’est avec le Te Deum de Bach un exemple très intéressant d’accompagnement d’un choral reprenant les thèmes grégoriens. Buxtehude écrit d’abord une grande introduction dont le prélude se touche sur le grand plein jeu et la fin sur une synthèse flûtée. Dans l’orgue allemand, le positif ne s’accouple généralement pas. C’est un clavier récitant plus proche des auditeurs. Le pincé ou le tremblement s’exécute selon le rôle qu’on leur assigne. Assez court à la fin du morceau. Plus long en début de pièce dans une tessiture grave. C. P. E. Bach n’articule pas toujours la note réelle.

L’orgue de Buxtehude comporte quatre claviers. Il devait bien parfois les utiliser, par exemple pour des échos successifs. La musique de Buxtehude est toute de contrastes. C’est peut-être la seule vraie musique d’orgue où l’on ressent très bien les différents plans sonores. Le bicinium du Te Deum se joue dans la force jusqu’à la fin du thème à la pédale. Mais le conclusion du verset se joue plus « céleste ». On n’est plus dans une écriture de grand plein jeu. C’est toujours l’écriture qui guide la registration. Dans le verset Tu devicto, on sent les aiguillons de la mort. Il faut une registration un peu pointue. Mais le style d’écriture change à la fin.

De même que le Praeludium, Fuge und Ciacona de Buxtehude.

Vue de Lübeck en 1641 (Wikipedia)

Michel Chapuis trouve la conclusion du Prélude plus intéressante dans l’édition Breitkopf, même avec une anche au pédalier. Dans le thème du passage fugué, prendre l’ornement par la note réelle pour éviter l’octave. A la fin du passage syncopé, ne pas ralentir, tenir le discours en haleine. Le récitatif qui suit peut être rubato, mais bien garder le rythme. Dans le port de voix sur la sensible, la lier, ne pas l’affaiblir.

La Fugue peut être enchaînée dans la même couleur que le Prélude ou appeler un changement de plan. Le 16′ manuel étant un peu lourd pour une fugue, on peut commencer sur le deuxième clavier. Le passage sans pédale se fait sur le troisième clavier. On revient au deuxième clavier après l’entrée de pédale, sur les accords manuels. Dans un crescendo naturel, descendre ensuite la main gauche au GO. Ensuite jouer tout sur le GO. (On pourrait aussi partir du plus fort pour aller vers le plus doux). A la fin, ajouter la trompette de pédale. Pour les passages rapides, dans les traits on détache les notes, dans les coulades on les lie. Le 1er passage est joué comme un trait, pour la brillance. Le 2nd comme une coulade comme un appui avant la péroraison.

Dans la Chaconne, on adopte un mouvement rapide, mais sans excès. Le 3/2 habituel était joué lentement. Dans la conclusion, le fa est vraisemblablement altéré pour une cadence avec double sensible. Le toucher est plutôt détaché à la pédale et plutôt lié aux manuels. Le son ne doit pas être trop réduit entre les accords. Il faut du temps aux sons graves pour s’épanouir.

Signature Buxtehude (Wikimedia)

Pour finir, Michel Chapuis nous emmena vers le Livre d’orgue de Louis Marchand

Gallica Bnf

Tout d’abord son Prélude à double pédale. A l’époque, les pédaliers étaient très variables suivant les organistes et les facteurs. A l’orgue Clicquot de St Sulpice, le pédalier comptait 36 notes, du fa en ravalement jusqu’au fa aigu. Le plus grand pédalier construit en France, aux Jacobins de Paris, comptait 45 touches. Dans les couvents, on ne cherchait pas l’effet, les pédaliers étaient peu étendus. Chez François Couperin, dans la messe des paroisses le pédalier monte au fa alors que dans la messe des couvents il comprend 18 notes seulement. Il faut jour très lié, très lent, avec peu d’ornements.

Si l’on fait des ornements, on tient compte de la tessiture : dans le grave, très lent; au soprano, plus serré. Si l’on fait des respirations, c’est d’une seule main à la fois. On peut faire un pincé assez modéré sur le premier ré. Le motif d’introduction peut être joué en croches, en doubles croches ou en petites notes. On peut aussi faire 2 notes égales et le 3ème en port de voix. Le C barré pouvait correspondre à 4 temps rapides ou 2 temps modérés. Il y a deux harmonies par mesure, mais on peut battre à quatre temps. Quand on rajoute des accents, on les lie, avant le temps, à la note principale antérieure. Michel Corrette recommande de fournir le grand plein jeu suivant les lois harmoniques. Le plein jeu baroque français est résultant et harmonique; le plein jeu pré classique avec tierce est polyphonique et mélodique. Les successions de quintes et d’octaves sont masquées par les résultantes.

Enfin la Tierce en taille. Ce pourrait être d’ailleurs un cromorne en taille. Il n’y a pas de virtuosités. Le récitatif après l’accord de sixte peut être joué librement. Règle pour les doubles terminaisons : les petites notes prennent les altérations de la note principale sauf si on les traite comme un accent inférieur suivi d’un port de voix supérieur vers la note principale. A l’avant dernière mesure, faire un port de voix suivi d’un accent et lier les trois notes. L’introduction de la tierce en taille crée son atmosphère générale; on ne peut bien la jouer que si l’on connaît l’ensemble de la pièce.

Le concert final des stagiaires réunit dans un programme assez éclectique les élèves de Michel Chapuis et André Stricker. Pour ma part, je me cantonnai au baroque français pour lequel j’étais venu travailler avec Michel Chapuis et Jean Saint-Arroman.

Jean Claude Duval – 12 Avril 2013 et 20 Septembre 2020

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