Cet emplacement était initialement réservé à un arbre généalogique qui serait d’autant plus simple qu’il ne pourrait comprendre que la branche maternelle.

Je suis en effet ce qu’on appelle un « enfant naturel ». Mais que sont donc les autres, me demandai-je, en écrivant ces lignes ? Seraient-ils « surnaturels » ?

Un bon dictionnaire me renseigna. L’enfant naturel est celui « qui a des liens de sang, mais qui se situe en dehors du système institutionnel ». Naturel s’oppose donc à « légitime » ou « putatif ». Légitime, c’est à dire « issu des relations d’un homme et d’une femme unis l’un à l’autre par un mariage ». (Qu’est-ce que cela va devenir avec le « mariage pour tous » ?). Putatif, c’est à dire « qui est supposé être l’enfant de ». (Je ne peux pas utiliser cet adjectif sans que me revienne à l’esprit un Noël ancien -joué à l’orgue en alternance avec le chant de l’ami André de Laval – qui qualifiait ainsi St Joseph : « Ce bon père putatif de Jésus mon maître … »)

Bref, officiellement je n’ai pas de père. Mais « naturellement » si. Grâce à la sœur de mon père, qui était une sainte femme et qui rechercha et retrouva Maman, je pus savoir quelques petites choses sur lui et découvrir l’existence d’une demi-soeur. Grâce à une amie de Maman découverte miraculeusement peu de temps avant sa mort, je pus avoir quelques informations sur les faits qui ont précédé ma naissance.

Je ressens le besoin de rassembler ces souvenirs avant qu’ils ne s’échappent. Et ceux qui le jour du pot de départ de la Mairie de Laval me dirent avec raison : »Personne ne vous a jamais connu que grand ! » trouveront sans doute ici (et dans la rubrique Enfance et Famille) une part d’explication de ce mutisme. Du côté maternel, les choses sont plus simples et je les rassemblerai également ici avant que ma mémoire ne les efface, tout en étant parfaitement conscient qu’ayant perdu la trace de pratiquement tous mes oncles, tantes, cousins et cousines, la réalisation d’un arbre généalogique sera là aussi bien compromise.

PÈRE

Mon père ne m’a pas reconnu, je ne l’ai ni connu, ni rencontré. La photo ci-dessus m’a été donnée par ma demi-soeur, Jacqueline, dite « Choute ».

Si j’ai bien reconstitué des bribes d’informations, il s’appelait Michel Puche. Né en 1915, il était pharmacien et serait mort à 82 ans le 24 Avril 1997. Il aurait eu une « triste vie » et aurait ainsi « payé ses erreurs ». C’est ce que me dit ma demi-soeur.

La soeur de mon père avait dit à Maman, à qui il avait promis le mariage, qu’il avait été déboussolé par la guerre.

Même Maman, dans la bouche de laquelle j’aurais pu attendre quelques rancoeurs, ne disait jamais de mal de lui. Je me rappelle que vers l’âge de 15 ans, alors que je le critiquais, elle m’avait taclé : « S’il n’avait pas été là, tu ne serais pas là pour me le reprocher ». Cela m’avait profondément marqué.

Je ne me souviens pas que Maman m’ait beaucoup parlé des conditions dans lesquelles j’avais été conçu. Elle travaillait alors aux Ateliers de broderie Boulard à Bourg le Roi (Sarthe) et y habitait. Attention ! Les brodeuses y faisaient du « point de Beauvais », et non de la dentelle.

Le hasard voulut que je rencontre Yvonne Bohic le 20 Août 2001. Le musée de la Broderie de Bourg le Roi faisait une journée « portes ouvertes ». Je ne sais pas pourquoi, j’y partis subitement avec mon épouse Hélène. Yvonne Bohic s’y trouvait. Étant donné son âge, je lui demandai si elle n’avait pas connu Maman (Marcelle Duval). Je la vis blêmir : « Oh, si j’avais pensé revoir un jour le fils de Marcelle ! ». Et après s’être reprise, elle me raconta qu’elle se souvenait très bien d’elle et que son travail était très apprécié au point qu’on l’isolait au premier étage de l’atelier pour que les modèles qu’elle créait ne puissent pas être copiés.

Nous fîmes ensuite le tour du bourg, promenade au demeurant très agréable.

Mais étant donné l’émoi que le fait de me voir lui avait causé, je retournai lui parler avant de partir et m’isolai avec elle pour qu’elle me dise tout ce qu’elle savait. « Oh, vous savez, si vous êtes en vie, c’est un peu grâce à moi ! » D’après ce qu’elle me dit, mon père aurait essayé d’inciter Maman à ne pas me garder. Son propre père étant médecin, la chose aurait pu se faire. Maman se confia à Yvonne Bohic qui lui conseilla de n’en rien faire et d’aller voir la patronne de l’Atelier, Madeleine Boulard. Celle-ci lui tint le même langage. Et je me souviens très bien que Maman m’a toujours dit que cette patronne avait été particulièrement bonne pour elle.

J’aurais voulu inviter Yvonne Bohic à Laval où nous habitions à l’époque pour lui remettre ce qui me restait d’outils, d’échantillons et de calques de broderie de Maman. Mais sa santé ne lui permettait déjà plus ce déplacement.

Je lui ai téléphoné quelque temps plus tard, quand je remarquai le long délai entre ma naissance et mon ondoiement, et ensuite mon baptême. Elle me confirma de la façon la plus catégorie que Maman n’avait jamais pensé m’abandonner ou me confier à l’Assistance publique.

Yvonne Bohic mourut le 2 Juin 2012 à 93 ans. Les obsèques de Madeleine Boulard avaient lieu le 3 Janvier précédent. Je m’étais rendu à son inhumation à l’hôpital d’Alençon. Sa fille Dominique qui m’avait repéré dans l’assistance me téléphona. Je lui racontai bien volontiers les raisons de ma présence.

Et je fis don au Musée de la broderie de Bourg le Roi de ce qui me restait comme souvenirs de Maman brodeuse.

Je dois à la vérité de préciser que ma demi-soeur Jacqueline est complètement révulsée en imaginant que mon père ait pu vouloir faire avorter Maman. Pour elle, c’était une famille très croyante et qui ne se serait jamais prêtée à ce genre de chose. J’ai pu constater moi-même l’intensité extraordinaire de la foi chrétienne de sa tante adoptive.

De toute façon, ne soyons pas plus royalistes que le roi. À supposer même que cette pensée ait pu traverser l’esprit de mon père, elle ne fut pas menée à son terme. Et Maman n’ayant jamais manifesté la moindre rancoeur vis-à-vis de mon père, je ne vois pas de quel droit je m’érigerais en juge plus impitoyable qu’elle. Elle a assumé sa vie au point d’y perdre sa santé psychique. Laissons lui le dernier mot.

J’ai évoqué ma demi-soeur Jacqueline, dite « Choute ». Vous la voyez sur le cliché ci-contre pris lorsque nous lui avions rendu visite avec ma fille Françoise et son fils Pierre, dont mon épouse Hélène trouve qu’il ressemble à mon père. Elle est née le 17 Décembre 1943, soit 5 mois et 12 jours après moi (5 Juillet 1943). Sa mère travaillait dans une pharmacie à Paris.

Je suppose que la famille de mon père s’était réfugiée à Bourg le Roi (Sarthe), où ma mère travaillait comme brodeuse, fin 1942, et avait réintégré Paris courant 1943. Sa mère ne pouvant pas s’en occuper à l’époque, Choute fut recueillie, puis adoptée par la soeur de mon père, qu’on appelait « Mami » ou « Madame Pointier », du nom de son mari.

Ayant appris mon existence, cette dernière réussit à nous retrouver. C’était une sainte femme très pénétrée de religion et sensible à ma qualité de séminariste. Elle m’invita plusieurs fois à aller les voir au « Petit Moulin » à Bléré (Indre et Loire) et c’est ainsi que je pus faire la connaissance de ma demi-soeur.

Je conserve religieusement, c’est le cas de le dire, les ouvrages que m’offrit cette pieuse femme :

  • Le Dialogue des Carmélites de Bernanos, dans une édition illustrée par Lapoujade et numérotée 13503,
  • Les Méditations sur l’Évangile de Bossuet, dans une édition de 1903 reliée à l’ancienne,
  • L’Esprit de St François de Sales de Mgr Camus dans un livre de 1904 signé « Marg. Marie Puche ».

Malheureusement, cette femme de bien mourut en 1976 et ma demi-soeur ne s’en remit jamais. Elle s’enfermera chez elle et sera mise en invalidité. De plus, Mr Pointier qu’elle appelait « Papi » décédera en 1983.

Sa mère biologique, qui s’appelait Thiell, était toujours de ce monde. Elle vint rejoindre Choute à Tours, avec son frère pendant quelque temps. Mais celui-ci mourut peu après. Il fallait voir cette petite bonne femme, maigre comme un clou, et qui manifestement s’efforçait de rester en vie pour aider sa fille.

Sauf erreur, elle était née en 1902. Lorsqu’elle mourut et que ses obsèques furent célébrées à Tours le 27 Novembre 2002, par un simple diacre au grand dam de Choute, mais avec communion quand même, elle devait avoir une centaine d’années, après une fin de vie souffrante et respectable.

GRANDS PARENTS MATERNELS, ONCLES & TANTES

Étant donné leurs âges, je reconnais sans mal :

  • Le grand père Eugène Duval, né le 19 Août 1870 à Oisseau le Petit (Sarthe) et décédé le 26 Juin 1945,
  • La grand-mère (Eugénie) Blanche Béasse, épouse Duval, née le 16 Novembre 1879 à Bourg le Roi (Sarthe) et décédée en 1962,
  • La tante Odette, la plus petite au milieu, née le 4 Février 1923 et décédée le 12 Mars 2009,
  • Maman Marcelle, la plus à gauche, née le 21 Juin 1916 et décédée le 24 Décembre 1985.

Pour ceux qui voudraient essayer de remonter plus loin dans le temps, je fais figurer ci-contre l’extrait de naissance de mon grand père.

Que les oncles et tantes que je n’ai pas pu identifier sur la photo me le pardonnent. Il doit d’ailleurs manquer un des enfants, puisqu’ils étaient huit en tout, dont trois garçons. Si j’en crois les notes de Maman, ils étaient encore tous vivants en 1945. Et la photo est de loin plus ancienne. Voici leurs dates de naissance retrouvées dans les rares documents conservés par Maman.

D’après Maman et la tante Odette, le grand père Duval n’était pas facile. Il les punissait parfois sévèrement jusqu’à les faire coucher dehors en hiver. Maman l’appelait « Père » et non « Papa ». Je ne l’ai pas connu.

De la grand-mère, j’ai conservé le souvenir d’une brave femme. Nous allions la voir à Planches où elle habitait une petite maison très modeste dans le bourg. Je me rappelle le trajet à faire depuis la halte ferroviaire.

Je me souviens aussi avoir été frappé par la tendresse avec laquelle elle m’avait regardé quand j’étais tombé en admiration devant les volubilis qui garnissaient un grillage usagé dans son jardin.

Autre genre de souvenir. Maman et moi avions rendu visite à une tante à Forges. Alors que les grands restaient à discuter, une petite cousine et moi avions été invités à aller jouer dans la grange. La cousine voulait jouer aux châteaux de sable. Elle avait rempli un seau de sable et m’avait fait pissé dedans. La grand-mère, fine mouche, était venue voir ce que nous fabriquions et avait senti le contenu du seau. Je ne me rappelle pas s’il y avait eu une punition, mais cela avait été la honte de ma vie !

Voici la petite galerie des photos qui me restent d’elle.

Des oncles et tantes, je n’ai conservé pratiquement aucun souvenir, sauf évidemment celui de la tante Odette avec qui Maman est restée en relation jusqu’à sa mort.

Maman se sentait rejetée par tous ses autres frères et soeurs. A tel point que lors de l’enterrement de la grandmère, elle ne s’était pas installée dans l’assistance, mais s’était réfugiée à la tribune.

Il y avait effectivement de la part de ses autres frères et soeurs une certaine méchanceté. Être « fille mère », c’était la honte de la famille ! Et que dire lorsque Maman sera mise à l’asile des fous ! Sans parler des anticléricaux qui se moquaient de me savoir au séminaire !

La tante Odette s’était mariée avec un paysan nommé André Rault. Ils travaillaient à La Cochère.

Ma cousine Ginette et moi sommes grimés en normands prise à la Cochère

Quand le tonton (photo de droite) fut en retraite, ils s’installèrent à Almenêches. Mais la tante ne s’y plaisait pas. Et ils cherchèrent un pied à terre à Argentan qui est quand même une ville plus importante.

Ils louèrent une petite maison rue Jean Joly. Je crois qu’il y avait trois pièces, et aussi un petit jardin qui leur permit de ne pas perdre leur main verte. Ils s’y plaisaient bien.

Maman allait les voir de temps en temps, quand elle trouvait une infirmière ou une amie qui pouvait l’amener à Argentan et la remmener à Alençon. Elle était toujours bien reçue.

Je me suis fréquemment dit que j’aurais dû les enregistrer, ou même la tante seule, une fois que le tonton et Maman furent décédés. C’eût été un témoignage précieux de la vie en ces temps-là. C’est une fois que les parents sont partis que l’on regrette de ne pas avoir gardé trace de leur vie. (Quand je pense que j’ai gardé toutes les lettres que je recevais, sauf celles de Maman ! Dans mon esprit sans doute, il était impossible qu’elle meure ! Au moins, ceux qui resteront après moi auront les quelques bribes que j’essaie de rassembler ici).

La santé du tonton se détériora inexorablement dans des conditions pénibles. Il mourut en Octobre 1991.

Restée seule dans sa petite maison, la tante Odette cultiva son jardin tant qu’elle le pût. Mais ensuite elle fut obligée de se faire aider par un voisin qui lui donnait, je crois, satisfaction.

Elle s’acheta un petit orgue électrique et elle était contente quand elle retrouvait des airs de chansons ou même des cantiques. Je me souviens qu’un fois, elle nous avait parlé de l’O Salutaris Hostia. Je suppose que c’était celui de Dugué.

Mais ses compagnons de fin de vie furent surtout ses chiens. Elle était très malheureuse quand ils partaient. Ce qui souvent arrivait trop rapidement.

A la fin de sa vie, la santé de la tante Odette s’altéra gravement. Il ne fut plus possible de la laisser vivre seule dans sa maison. Ses enfants se résolurent à la mettre à la maison de retraite de Sées.

Mon épouse Hélène et moi allâmes la voir. Elle était assise près de la porte d’entrée et regardait les allées et venues. Elle avait tellement maigri que je ne la reconnaissais pas. Mais Hélène si.

La tante non plus ne nous reconnaissait pas. En lui disant assez fort dans l’oreille : « C’est Jean Claude, le fils de ta soeur Marcelle », je pense qu’elle retrouva quelque souvenir.

Ma cousine Ginette me rapportait qu’à la fin de sa vie, elle ne pouvait plus parler. Elle réussit quand même à faire comprendre qu’elle voulait revoir son fils Alain avec qui elle était fâchée depuis des années.

La directrice téléphona à Alain qui vint la voir le lendemain. Elle mourut dans les jours qui suivirent comme si elle avait attendu de revoir Alain pour partir.

MAMAN JEUNE FILLE

Nonant le Pin, 29 Juillet 1928 Maman était déjà une artiste !
Opérette « La Farfadette » Mai 1932 Maman est la deuxième à partir de la droite

5 Juillet 1943, l’événement du siècle : ma naissance !

La suite de la saga se trouve dans la rubrique Ma vie personnelle et familiale de 1943 à 1965.

JCD 1er Mars 2013

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Publié dans Vie